Le corpus

Le projet SIPROJURIS est né du constat que l’histoire de la doctrine juridique, telle qu’elle a été construite jusqu’à ce jour, repose essentiellement sur une analyse des discours et des textes émanant des professeurs de droit dont, en revanche, la biographie personnelle et professionnelle, mal connue ou jugée d’un intérêt très accessoire, est le plus souvent simplement effleurée. SIPROJURIS se propose d’approfondir la connaissance des trajectoires individuelles des professeurs de droit, afin de permettre aux chercheurs de placer la production intellectuelle de ces derniers dans une perspective plus personnelle, voire plus intime. En offrant des informations biographiques et des pistes de recherche permettant de mieux relier une œuvre doctrinale au vécu de son auteur, SIPROJURIS espère contribuer à éclairer différemment les mécanismes de formation d’une pensée juridique.

Origines familiales, mariage, enseignements reçus, puis dispensés, dans le cadre des facultés de droit ou à l’extérieur de celles-ci, implication dans des activités étrangères à la vie universitaire - qu’il s’agisse d’une vie professionnelle antérieure, postérieure, voire parallèle à la carrière universitaire ou d’engagements divers - sociaux, associatifs, politiques, culturels ou bien encore religieux -, participation à la vie de revues juridiques et/ou de sociétés savantes, etc., sont, en effet, autant d’éléments que l’on a cherché ici à renseigner parce qu’ils contribuent à jeter une lumière nouvelle sur les centres d’intérêts scientifiques de ces auteurs et parfois même sur le contenu de leur production intellectuelle. Ils permettent encore de mieux comprendre les séquences de leur production scientifique, leurs choix – ou leurs non choix - de carrière, ils révèlent la constitution de réseaux de sociabilité et peuvent enfin faire apparaître des influences moins visibles que celles dont ces enseignants se prévalent officiellement dans leurs écrits.
Par surcroît, cette recherche, grâce au travail fouillé accompli sur chaque individu, se veut aussi un outil permettant d’écrire une autre histoire de ce corps professionnel. Il devient possible de l’appréhender de façon plus fine dans ses diverses dimensions, quelles soient sociales, religieuses ou politiques, ainsi que dans ses interactions avec les autres professions juridiques et/ou judiciaires. En outre, parce que la démarche repose sur la reconstitution de la biographie professionnelle de chacun des enseignants  composant le corps, la vie de ce dernier peut être appréhendée non seulement à partir des textes législatifs et réglementaires qui l’ont encadré et  structuré, mais aussi au regard des lectures qui ont été faites de ces mêmes normes et encore à celui des pratiques coutumières secrétées conjointement par les services centraux du ministère de l’Instruction publique et par les institutions facultaires ; lectures et pratiques que ces parcours individuels reflètent.

Evidemment, SIPROJURIS est aussi un outil au service de l’histoire de l’enseignement du droit. Le contenu de l’enseignement dispensé par les facultés de droit, réduit en 1804 au droit romain, au code civil, à la procédure civile et à la législation criminelle, s’est en effet notablement diversifié au cours des 19e et 20e siècles. De nouvelles branches du droit sont apparues à la faveur de la création, souvent réclamée par les facultés de droit elles-mêmes, de cours dits libres ou complémentaires. Assurés par des enseignants pionniers, que ces précurseurs aient été volontaires et enthousiastes ou bien désignés autant que résignés, ces enseignements ont éventuellement reçu par la suite une consécration officielle dans les programmes d’études des facultés de droit arrêtés par l’État. La base de données permet, notamment, de retracer et de cartographier avec précision le processus de construction des nouvelles disciplines juridiques, d’identifier tant les professeurs porteurs de ces innovations pédagogiques et scientifiques que les stratégies (création de revues, d’associations scientifiques) qu’ils ont pu déployer pour asseoir le rayonnement de la jeune discipline dont ils étaient les promoteurs.

Cadre chronologique

Les dates extrêmes retenues (1804-1950) sont justifiées, pour le point de départ, par la re-création, après plus d’une décennie de suppression révolutionnaire, d’un enseignement juridique sous la forme des Écoles de droit, celles-ci ayant été appelées, dès 1808, désormais sous le nom de Facultés de droit, à prendre place au sein de l’Université impériale et, pour le terminus ad quem, par le souci de pouvoir obtenir, sans trop de difficultés, l’accès à des archives publiques contenant des informations personnelles (l’année 1950 étant retenue comme la date extrême d’entrée dans la carrière en qualité de titulaire).

Population concernée

En conséquence de la fourchette chronologique retenue, sont concernés les personnels des écoles de droit créées en 1804, soit celles de Paris, Aix-en-Provence, Caen, Dijon, Douai (puis Lille après le transfert dans cette dernière ville), Grenoble, Poitiers, Rennes, Strasbourg, Toulouse. A ceux-ci viennent s’ajouter les personnels des Facultés de création plus récente : Nancy (1864), Bordeaux (1870), Lyon (1875), Montpellier (1878) ainsi que l’École de droit d’Alger, érigée en Faculté de droit en 1909. Si la priorité de la recherche a été donnée aux enseignants en droit des Facultés d’État, le personnel des principales Facultés catholiques créées à partir de 1875 (Paris, Lyon, Lille, Angers) sera, à terme et dans la mesure du possible, également intégré dans le corpus.
Au sein de ces diverses Facultés, l’étude entend porter sur les enseignants en droit largement entendus, c’est-à-dire sur les diverses catégories que ce vocable générique recouvre : les professeurs titulaires des facultés d’État, à savoir ceux qui ont triomphé d’un concours - qu’il s’agisse d’un concours organisé localement pour une chaire ou pour un poste de suppléant dans la première moitié du 19e siècle, puis du concours national d’agrégation à partir de 1856 -, les enseignants non titulaires, à savoir ceux que l’on a appelé d’abord les suppléants provisoires, puis les chargés de cours, autrement dit le personnel des docteurs non agrégés. Cette dernière catégorie, assez facilement identifiable au 19e siècle, ne pourra pas faire l’objet d’un traitement exhaustif en ce qui concerne la première moitié du 20e siècle dans la mesure où le recours à ce type de personnel, s’il s’intensifie alors considérablement, en particulier à la faveur des vides provisoires ou définitifs créés dans les rangs professoraux par les deux guerres mondiales, n’a guère secrété d’archives permettant de disposer des informations les plus élémentaires relatives à ces enseignants, suppléants souvent très éphémères. Enfin, dans la mesure où l’économie politique, née dans le cadre des facultés de droit et enseignée initialement par les juristes, n’avait pas encore conquis son autonomie disciplinaire pendant la période considérée, les professeurs d’économie politique n’ont pas été exclus du corpus et ce, d’autant moins, qu’ils ont souvent été amenés à dispenser, en sus de leurs enseignements d’économie politique, des cours aujourd’hui considérés comme relevant de l’enseignement exclusif du droit.